À table !

Ces jours-ci, souffle sur la sphère un vent qui parle de privation & de médecine générale. Les uns tweetent, les autres bloguent, enfin cela dit beaucoup de ceux qui tweetent bloguent aussi et vice-versa, y’en a même qui évoquent un anniversaire … Et franchement, même en étant complètement à l’ouest, si vous n’avez pas vu passer un hashtag #PrivésDeMG, je vous conseille vivement de prendre rendez-vous avec un ophtalmo [contrepèterie de lendemain de garde].

Alors de quoi elle se mêle, la junkie aux sensations fortes, l’illuminée du gyro ? Hein ?

Non, je ne suis pas médecin généraliste. Et j’avoue ne même pas avoir de médecin traitant et j’irai brûler en enfer pour ça. De surcroît je bosse dans un CHU (l’antithèse de la médecine libérale) et j’aime ça. Je ne suis pas une femme influente selon personne à part mon chat. Mais je vais vous donner mon avis quand même.

Non je ne suis pas compétente en médecine générale et en politique de santé, d’ailleurs je n’y connais rien. Rien.

Même si le SAMU est à l’interface de ce qui se passe en dehors de l’hôpital et à l’intérieur de l’hôpital. Même si la médecine d’urgence préhospitalière et la régulation du 15 se situent au carrefour de nombreux réseaux de soins. Même si le 15 a des effecteurs notamment médecins généralistes, inscrits dans un maillage territorial dont la connaissance m’est utile, sinon nécessaire. Car jamais, non, ne tombe d’appel de la part d’un patient qui vit à 30 km du premier recours médical existant, auquel il n’a jamais eu affaire parce que fraîchement installé dans la région / en bonne santé jusque-là / dépourvu de médecin traitant depuis que le sien est parti à la retraite sans trouver de successeur / etc. Jamais, il ne m’arrive de me dire que si le médecin du bled pouvait passer voir cette dame centenaire qui a mal au ventre et pour laquelle le 15 est composé, ça pourrait éviter de lui faire perdre pied en l’hospitalisant d’emblée sans évaluation médicale préalable, raison pour laquelle jamais je ne téléphone à ce médecin du bled en question. Jamais non plus, un médecin généraliste, un gars qu’on connait, qui n’appelle pas souvent pourtant, ne contacte le SAMU parce que là vraiment, faut venir, le patient file un mauvais coton. Jamais d’ailleurs en SMUR, je n’ai été amenée à prendre le relais avec mon équipe, d’une réanimation cardiopulmonaire entamée par le médecin traitant en sueurs et qui commençait à trouver le temps long.

Ouais mais je peux pas m’empêcher de donner mon opinion sur des sujets pour lesquels je n’ai aucune espèce d’implication ou de compétence. Je ne suis pas médecin généraliste. Et même ma gamine considère sa maîtresse de CE2 comme une femme plus influente que moi. Oui, mais moi, au moins, je tiens les poussées d’adrénaline, et toc !

Cependant l’avenir de la médecine générale concerne tout le monde [elle est pas belle, mon excuse pour m’incruster dans le débat ?]. TOUT LE MONDE. Beaucoup d’entre nous ne passeront jamais entre les mains expertes d’un chirurgien. Y’a des gens qui ne verront jamais d’ophtalmo parce que même la presbytie ne les atteindra pas. La plupart des hommes parviennent à s’affranchir d’un suivi gynécologique. Je voudrais bien tous vous défibriller et vous intuber, mais heureusement pour vous la majorité n’en auront pas l’occasion. Mais tout le monde, TOUT LE MONDE A UN JOUR BESOIN D’UN MÉDECIN GÉNÉRALISTE. Ce recours-là, celui dit «de soins primaires», il est essentiel, à tous. Aux membres de ma famille. À la vôtre. À vos voisins. A ce collègue de travail que vous haïssez. À la caissière du supermarché. Au pilote de l’avion que vous avez pris l’an passé. À l’homme qui cultive sa terre pour qu’elle vous offre un délice dans l’assiette. À la ministre, aux collaborateurs de la ministre, au cousin de la ministre, au chien de la ministre, et à vous.

Y’a des étudiants en médecine qui ont dès le départ une idée très claire de leur souhait en termes d’orientation vers telle ou telle spécialité. Y’en a d’autres qui veulent être médecins, s’inscrivant à la fac en se disant : «pour la spé, on verra après !». Y’en a qui comme moi croient savoir ce à quoi ils aspirent (je voulais être neurologue) [ça fait combien de coups de fouets, pour cet aveu ?] et qui se découvrent lors d’un stage hospitalier. La première fois que j’ai foutu le cul dans une VL du SMUR, j’ai su. Je ne connais pas un seul chirurgien, un seul gynéco, un seul pneumologue, un seul dermato, bref aucun médecin spécialiste en quoi que ce soit d’autre qu’en médecine générale qui ne soit pas passé en stage correspondant à sa future spécialité lors de son 2e cycle. Aucun. Certains y sont passés pour confirmer l’attrait qu’ils éprouvaient déjà, d’autres ont eu la révélation au hasard d’un des nombreux stages d’externat d’un ou plusieurs mois. On demande à la moitié des promos de se lancer sans parachute vers une spécialité dont ils ont une connaissance proche du vide sidéral. C’est quand même du pur délire, cette affaire. Dans le CHU où je bosse, les choses ont changé. Tous les étudiants font un stage «chez le med gé». Bon ben va falloir être attractifs, nous autres hospitaliers, parce qu’ils veulent tous faire ça, les petits. Fait chier.

Plus d’étudiants qui s’orientent vers la médecine générale ambulatoire, moins de désert médical. Je dis ça, je dis rien.

Arf. Le désert médical, parlons-en. Bouh, les vilains généralistes qui veulent plus se déplacer la nuit pour une rhinopharyngite, font des caprices à vouloir rentrer chez eux voir leurs enfants avant 23h le soir, et ont l’outrecuidance d’abandonner littéralement leurs patients pour partir en vacances sans être remplacés voire carrément à la retraite sans avoir pu s’assurer de la reprise de leur cabinet. Non franchement, les médecins traitants, ces feignants, et de mon temps, et y’a plus d’saison ma brav’dame, etc etc. Ah oui et j’oubliais : après tout, ce ne sont que des fonctionnaires (amis authentiques fonctionnaires, sachez que ce mot constitue visiblement l’insulte suprême) dont on a payé les études. Et oui, je sais. C’est affreux mais c’est un fait, les médecins généralistes qui ne sont tous que des feignants intéressés par l’argent, ne font plus de visites à 40 km du cabinet alors que la salle d’attente est pleine, et veulent voir leurs proches ailleurs que sur les photos qui ornent leurs bureaux. Et bien figurez-vous que je les comprends.

Le souffle que l’on entend, cette histoire de privation et tout ça, cela émane d’un groupe qui a pensé que le fatalisme et le dénigrement perpétuel n’étaient pas des solutions. Alors loin de tout misérabilisme ils ont élaboré des propositions concrètes à partir d’une espèce de brainstorming géant.

Ils veulent que ça change. Que change le présent. Que change l’avenir vers lequel lentement, surement, et malheureusement, l’ensemble du système de santé français, jadis réputé (et je crois d’un certain point de vue, à juste titre ; mais jadis) le meilleur au monde, tend inéluctablement en l’absence de traitement.

Perso, leurs idées, je les trouve pas con. Mais bon c’est vrai que je ne suis pas compétente, hein, je le reconnais. Mais concernée, si… Comme vous tous.

Le petit chœur qui s’est formé et a élaboré des propositions pour la ministre de la santé et ses collaborateurs, ce petit groupe, il veut que les choses avancent. En replaçant le patient au centre du grand réseau que constituent le maillage de médecine générale ambulatoire et son interaction avec la médecine de l’hôpital jusque dans son enseignement.

Ça ne me parait pas normal que dans ce pays, on malmène les acteurs de soin que sont les médecins généralistes du début de leurs études jusqu’à la fin de leur carrière, en leur reprochant tout et son contraire, sans au moins prendre la peine d’entendre ce qu’eux professionnels ont à dire au sujet de l’évolution du métier qu’ils font. Car bafouer ceux qui veulent faire en sorte que ça avance et se sortent les doigts du stéthoscope pour émettre des propositions décentes, ça revient de près ou de loin à négliger l’objet de leurs préoccupations : le patient. Négliger c’est maltraiter, insidieusement.

Ma seule préoccupation, à moi, en tant que professionnelle et en tant que citoyen, c’est le patient. Puisse le message porté par ce souffle être entendu, ses propositions sérieusement étudiées.

Je hais les régimes amincissants, car intolérable m’est toute frustration. Je ne veux pas que nous soyons Privés De MG.

Alors à table ! Que le dialogue, l’écoute mutuelle, et le débat d’idées puissent faire bouger les choses et que du concret sorte de la table de négociations.

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