Y’a des fois où je me demande si c’est pas Georges R.R. Martin qui écrit le scénario de mes gardes au boulot, tellement y’a du sang et des morts. Du reste, un hélico c’est guère plus affectueux qu’un dragon, quand on y pense.
C’était un radieux matin de printemps ; les cui-cui cuicuillaient, les papillons papillonnaient, la brise me les brisait, et la régul régulait. 11h30 : l’heure de passer à table. C’est un réflexe conditionné SAMU, d’avoir les crocs à l’heure où les vieilles en maison de retraite ne sont pas encore attablées : tandis qu’at home mon estomac s’estomaque vers 16h, au boulot, c’est à 11h30 que je boulotte, affamée. Me réjouissant déjà de la gastronomie pain caoutchouteux – fromage en plastique, voici donc que sonne le glas. Départ. Aller sauver des vies le ventre vide, abnégation et tout le tralala.
Comme une seule panse non repue, nous nous levons, chantons et dansons, et sautons dans la bagnole qui clignote. En deux coups de cuillère à pot, nous atteignons la résidence de notre patient, plus vite que ne l’auraient fait les athéniens. [À leur décharge : ça fait une trotte, depuis la capitale grecque.] 3 étages à pieds. Couloir de droite. La porte a été entrouverte, nous sommes attendus par 2 ambulanciers.
Il est où le patient ? Ça alors ! Caché ?
Mais noooooon ! Il est joueur, il s’est caméléonisé. Une fois repéré, il ne nous ne faut pas plus de temps pour estimer sa gravité qu’il n’en faut pour commander 15 débardeurs sur le web. Cet homme, trentenaire, est si pale qu’on le distingue à peine des draps sur lesquels il est couché. Blanc. Blanc blanc blanc.
Oh pinaise.
Outre son extrême lividité, nous apprenons qu’il tape à 150 par minutes, respire un peu vite, et que le brassard à tension des ambulanciers se fout copieusement de ma gueule en alléguant une tension conservée alors que le patient n’a pas de pouls radial tellement il est vidé. [La clinique, la clinique, la clinique. Sachez, amis étudiants qui me lisent, que rien n’est plus menteur qu’un brassard à tension surtout lorsque celui-ci est mal placé. Une fois j’en ai eu un qui m’a affiché sans sourciller un 12/8 sur un arrêt récupéré ; mensonge que j’ai été tentée de punir par un lancer de scope par la fenêtre du camion pompiers étant donné que ce bâtard de tensiomètre n’était même pas positionné vu que je finissais de mettre un artère en roulant à le monsieur afin de mieux le monitorer.] Donc bref : un patient exsangue, et un tensiomètre qui me prend vraiment pour une quiche.
Allez hop. «Une grosse voie avec des litres de salé, puis une deuxième pour de la noradré, les jambes surélevées, de l’O2 sur le nez, scopé» dis-je à l’ensemble de l’équipe, soucieuse de respecter les rimes en «é». C’est pas parce qu’on fait du SMUR qu’on ne doit pas rester poétiques. Ce faisant, je retourne la conjonctive du patient histoire de me faire peur et de confronter mon pronostic à l’hémoglobinémie mesurée, l’examine viteuf, grapille des infos dont ce qui contre-indiquerait l’administration de ce que je suis déjà en train de préparer, et jetant un oeil par la baie vitrée, considère la galère pour s’extraire de là. Avisés, les ambulanciers m’informent que 2 de leurs collègues désœuvrés se situent à 3 pâtés de maisons de là.
«Ok pour les bras supplémentaires pour brancarder, et allez chercher le coquille sviouplé» indiquais-je à un des ambulanciers privés, toujours en «é». L’acide tranexamique est prêt, branché. Le sel coule plein pots sur le premier cath gris, un autre de l’autre coté est en train d’être mis. [C’est chouette aussi, les rimes en «i»]
Enfin c’est bien joli, tout ça, mais ça nous dit pas où est le sang du patient, étant donné que manifestement il n’est pas dans ses veines. Je cherche autour de moi.
♫ Tiens, voilà du boudin ! ♫ Trouvé. Le lavabo. Rempli. De sang. Vomir sa volémie, mauvaise idée. Un énorme pâté, encore bien liquide, et bon appétit à ceux qui me lisent.
Y’a pas à tortiller, c’est beau, quand ça va vite. 15 minutes, le remplissage continue d’un coté, de l’autre la noradré est branchée, l’acide tranexamique est passé, le patient est en train d’être coquillé, jambes surélevées, et des renforts de bras sont arrivés. Olé ! Il est temps de réveiller le régulateur téléphoner.
«Boucherie Adré bonjour ! Ui alors je suis à St-Béton-Tout-Près, avec monsieur Morcilla Dos Lavabos, sans antécédent notable, qui boulotté des anti-inflammatoires par paquets pour une tendinite [quand je dis que le sport c’est le mal, voyez où ça peut mener], qui par conséquent semble avoir pété un ulcère saignant sa race, et qui est aussi vide & choqué que son évier est plein. Il vient de restaurer un pouls radial perceptible sur remplissage + noradré, on est pas loin de déchoc d’à coté, mais t’as le temps de les prévenir vu comme on va en chier pour descendre par les escaliers.»
La deuxième chose la plus fourbe après les brassards à tension, en ce bas monde, ce sont les archis qui dessinent des résidences avec des terrasses fermées [oubliée, l’évacuation grandiose par échelle], des ascenseurs tous petits qui tombent en panne tous les 3 jours [de préférence quand un SMUR a besoin d’en sortir avec un patient choqué] et des putaragnes d’escaliers en colimaçon bétonnés glissants et casse-gueules. Le tout entrecoupé de saletés de portes verrouillées, pour simplifier.
Le soleil nous félicita de tant d’ardeur branquarderesque, dès la sortie de l’immeuble enfin franchie. L’hémodynamique du patient aussi.
Et c’est ainsi que pim-pam-poum, ce patient fut confié moyennant quelques kilomètres aux réanimateurs & autres gastéropodes gastro-entérologues, et que je vous laisse because on m’appelle pour manger. L’héroïsme Le SMUR, ça creuse.
Ça me rappelle des souvenirs …
Ulcère perforé sur une indigestion d’ibuprofené ( pour la rime) …
Cathe et pse norad tout caché dans son papier
Et un patient au final sauvé
Pompin Pompin , tiens , voilà du boudin , tagada tsointsoin !
Le sport, c’est le Mal !
AAAHHH, quelques alexandrins !
Donc ça s’appelle un effet iatrogène. Çà coûterait beaucoup moins cher à la Sécu si les patients étaient éduqués.
Ping : Christian Delhay, Ophtalmologiste | Game of Lavabos