À peine remise d’une longue entrevue avec Morphée, j’ai réalisé l’autre jour, transie d’effroi d’admiration, que certains de mes collègues avaient débuté leur carrière de SMUR à une époque où les smartphones n’existaient pas. Ça fout les jetons. [Note pour moi-même : vêtir un scaphandre avant d’aller prendre la prochaine garde, histoire de pas se faire lyncher par le club du 3e age lesdits collègues.] Et encore, je ne vous parle pas de ceux qui partaient en inter à dos de diplodocus, dont subsistent peu de témoignages si ce n’est les «un urgentiste ne peut pas utiliser de propofol» & autres antiquités intellectuelles.
♫ Je vous parle d’un temps que les moins de 1000 ans ne peuvent pas connaitre ♪ La galèeeeere, ♪ la galèeeeeeere ♫
Le SMUR au Moyen-Âge. Sacrebleu la pouasse. Imaginons la médecine d’urgence préhospitalière de l’an mil.
Les ennuis commencent avec les fientes jonchant les centres de régulation. Bah ouais, c’est bien mignon, les pigeons voyageurs, mais 1) ça va pas super vite, 2) ça chie. Remarquez ça a ses avantages aussi. Ça économise les SMUR, à condition de disposer d’un paquet de curés. Lorsque le piaf messager délivre une missive de Château-Loin, mentionnant «un arrê∫t du cveur et de la respiration», la régul peut s’abstenir du déclenchement intempestif d’équipe SMUR en décrétant que c’est trop tard / trop loin / pas la peine de quémander des secours quand on est pas foutu d’écrire le moyenâgeux correctement. Et zou d’envoyer le Père Falgan prodiguer les derniers sacrements.
Enfin comme ces feignasses de canassons sont pas payés à mâcher du foin (les pilotes d’hélico n’ont pas encore été inventés), de temps à autre, faut quand même dégainer. Dreling dreling dreling (Frère Jacques a été réquisitionné pour sonner les départs) «Intervention !» claironne maudit-sois-tu-carillonneur. Zorro (l’ambulancier cochet), Chaperon-Blanc (le toubib), Blanche-Neige (l’infirmière experte en sortilèges) et le Petit Poucet (l’externe) bondissent dans la CMURSEO (Carriole Mouvante d’Urgence, de Réanimation, et Sinon d’Extrême Onction)[à cette époque, ils étaient bien plus réalistes].
Ça le fait, quand même, un attelage blanc et bleu. Les manants n’osent entraver son passage, le confondant avec une diligence royale (leurs descendants se poussent en nous prenant pour les flics) ; d’autres s’écartent dès qu’ils en perçoivent le son des clochettes, craignant que ce fussent celles des fossoyeurs traînant dans leurs convois tant de cadavres de pestiférés qu’on pourrait les considérer comme d’ambulantes armes bactériologiques. Et tant mieux, parce qu’aller sauver des vies dans des voitures tractées par des chevaux, c’est comme espérer qu’un diurétique puisse à lui seul soigner un patient noyé jusqu’aux oreilles dans son OAP : un optimisme niant la temporalité impérieuse de l’urgence.
Question matos, ne croyez pas que l’absence de scope et d’oxygène allège le barda. Le plastique n’ayant pas encore été inventé, tout n’est que luxe, calme et volupté métal, bois et céramique. Et l’ascenseur non plus n’a pas encore été inventé.
L’arsenal thérapeutique est d’une simplicité qui persiste de nos jours. On a juste remplacé les sangsues par des dérivés nitrés, le gourdin par des drogues anesthésiques, le miel de lavande par du glucosé. L’eau de vie de prunes, jadis utilisée comme analgésique, a été substituée par les opiacés naguère dévolus au réconfort post-garde des équipes de secours, remplacés par … l’eau de vie de prunes. Et la boucle est bouclée.
Alors oui, on chipotera sur le fait que l’intubation au roseau puisse être légèrement traumatique, on ricanera sur le manque de précision du débit horaire des PSAM (Pousse-Seringues À Manivelle), et les pinailleurs pinaillerons sur la richesse microbiologique des panses de brebis préfigurant les BAVU modernes, tandis que les moutons se garderont bien de souligner que les fumigations intra-rectales sont d’une efficacité comparable à l’adrénaline dans la prise en charge de l’arrêt cardiorespiratoire. Après tout, mille ans plus tard, y’en a toujours qui considèrent sédation pharmacologique et contention mécanique comme les principales thérapeutiques à mettre en oeuvre face à une détresse respiratoire. Y’a des coups de poings sternaux (les défibrillateurs n’ont pas encore été inventés) qui se perdent.
Bien que sur les routes les crétins aient remplacé le crottin, le SMUR demeure une activité médicale riche en gestes techniques, basée sur l’emploi de rares médicaments, et où on se pourrit les tenues dans un subtil mélange de bouillasse et de liquides biologiques giclant en passant pour des bouseux au regard des confrères dont la fragilité articulaire leur interdit un exercice hors de l’enceinte calfeutrée de l’hôpital. Les praticiens de l’urgence préhospitalière savent depuis longtemps que les humeurs ne sont pas qu’une théorie hippocratique, mais une calamité au lavage. On a juste fait de gros progrès avec l’avènement du cathéter, permettant d’administrer les digitaliques à la louche intraveineuse là où on les prodiguait à la cuillerée per os. Nan et puis le stylo bic, c’est quand même vachement plus pratique, pour signer les certificats de décès remplir les dossiers.
Prenez ce patient salement amputé de sa jambe gauche suite à un baston à l’épée ayant mal tourné. C’est qu’il en faut, du bois, pour faire rougir le fer qui assurera l’hémostase locale appliqué sur ses chairs sanglantes ! [De nos jours, avec la déforestation, on serait en difficulté !] Au Moyen-Âge, le SMUR n’était pas une sinécure. Surtout pour les patients. Et encore, les platanes n’ont pas été inventés, ce qui tombe bien puisque les airbags non plus. Nan et puis les écrouelles, c’est moche.
La médecine d’urgence préhospitalière à l’ère des troubadours, le SMUR médiéval, franchement je sais pas comment ils faisaient, mes collègues aïeux. À l’instar du changement, est-ce que l’Âge d’Or, c’est maintenant ? Possible. Hier, les limitations technologiques rendaient la tache plus qu’ardue ; demain, nous risquons d’être superflus à l’aulne de la téléportation directe du platane au bloc opératoire.
Peut-être même qu’un jour je ferai figure d’ancêtre auprès de mes jeunes confrères, qui me demanderont comment nous faisions, à mon époque, pour évaluer la détresse vitale d’un patient sans puce électronique. «Avec mes yeux, mes doigts, et un stéthoscope, mes petits.» «Un sté-quoiiiiiiiiiii ???»
Un urgentiste utilisant du propofol… il manquerait plus que ça. Ce n’est pas pour rien qu’on a inventé le séculaire hypnovel dont tout le monde use et abuse depuis des lustres, bien plus sûr d’utilisation, et dénué du moindre effet secondaire.
Y avait pas de téléphone portable et … pas de GPS. Je remplaçais en MG à la campagne, dans l’Yonne, y avait des villages sans nom de rue, il fallait bien noter les explications genre « »après la ferme de X (c’est qui ? )… juste après le grand chêne (ou le platane ? ) et pas confondre la droite de la gauche. Y a eu un appel de nuit, j’ai jamais trouvé et ils n’ont jamais rappelé. ???
MERVEILLEUX !
Le club du troisième age de la regul de Besac vous envoie ses meilleurs voeux 😠
Bien, on va faire comme pour les documentaires sur la Grande Guerre :
– pas de GPS (cartes routières)
– pas de midazolam, de propofol ou d’hypnomidate (Valium°, gamma OH°)
– pas de crush induction (xylo en spray sur les cordes vocales)
– pas de VNI (parfois saignées sur les OAP quand la mousse sortait par le tube)
– arrivée du Fentanyl° : Alleluia !!
– bloc crural : Alleluia !
– début de la thrombolyse : ALLELUIA !!!!
voilà voilà …
Bises
Surtout il n’y avait pas la relation (!) entre le SMUR et la régulation. Celle ci balbutiante se focalisait sur les secondaires (oui, oui ça existait déjà, en voiture Simone, et sur des routes à 2 voies non balisées) et le Smuriste en primaire se débrouillait … seul : pas d’IDE, pas d’externes, une ambulancière souvent exploitée (dans tous les sens), pas de place « réservée » à l’accueil (pas de dechoc, faut pas déco……er, !), pas de médecin à l’accueil, un interne réveillé les fois où ça baignait. Comme y avait pas de portable (oui à çette époque la on faisait déjà du SMUR 😉 et que la radio crachait correctement une fois sur 3 ou 4, personne pour casser les pieds pendant l’inter …mais personne aussi quand l’inter partait en biais. Et vous arriviez à travaillier gentes dames et demoiseaux ? Dans le SAMU/SMUR que je fréquente encore ce jour car accessible aux fauteuils roulants, les bons jours on fait entre 25 et 35 inter (primaire et secondaire) par 24 heures : dans « l’ancien temps » c’était entre 60 et 70 ! Ah oui, désolé y a pas d’archives informatiques pour les recherches archéologiques, à l’époque c’était papier et stylo ….